Comment créer ensemble les conditions du courage, de l’audace, de l’imagination pour oser les adaptations organisationnelles et managériales nécessaires aux nouvelles situations de travail ?

Souffrance et acceptation : les conséquences visibles et invisibles du COVID

Dans les établissements de santé et pour les professionnels du secteur, il a fallu une grande force morale et résistance physique pour assumer les responsabilités avec courage, réactivité, patience et persévérance, avec :

– la peur d’être contaminés plus ou moins gravement

– la peur de contaminer leurs patients ou leur entourage et les privations que cela engendre

– le sentiment d’être ignorés (pour les ambulatoires) et l’isolement

– une charge cognitive due à la gestion d’une information abondante et fluctuante

– les difficultés de prise en charge des patients atteints du COVID,

– la « gestion » du deuil de patients et l’accompagnement de leurs proches, dans des établissements qui n’ont parfois pas vocation à cela. 

– l’accueil de patients sans repères en provenance d’autres régions saturées

– la perte de proches

Pris par surprise en 2020, les personnels ont tenu le coup dans le brouillard. Des bonnes volontés individuelles est née une formidable énergie collective. « On a fait ce qu’on n’aurait jamais cru », dit Christelle Rivoal, directrice générale du Centre Hospitalier Privé du Montgarde, grâce au décloisonnement des équipes, la coopération inter-établissements, le sens du devoir de tous les professionnels, ceux de la santé et du ménage, de la cuisine, des services techniques ainsi que de l’informatique.

En 2021, on va devoir apprendre à vivre avec le Covid de manière durable. On va retrouver de la visibilité progressivement, reprendre les projets suspendus et réajuster les stratégies. On va se réinventer avec le Covid, et pas après le Covid.

Comment trouver la force de s’engager vers un futur devenu plus fortement imprévisible ? Et cela malgré les pertes, l’usure physique et psychique ?

Les mesures de distanciation prises pour lutter contre le Covid sont devenues avec le temps toxiques elles-mêmes pour les personnels, les solutions sont aussi devenues des problèmes. Certes les modalités mises en place lors de la première vague ont été modulées lors de la seconde vague, et le seront aussi pour les prochaines. Mais si on gère la survie des corps, on parle maintenant des conséquences psychologiques liées à l’organisation de la survie notamment au travail.

Les conséquences dans les dynamiques relationnelles au travail

Quels sont les effets sur le « care » quand on doit se protéger les uns des autres, que deviennent les soins relationnels ? Comment vivre les relations nécessaires à notre vie psychique quand on doit protéger les corps et ne plus se toucher et s’approcher ?

La limitation des interactions, des entretiens, des rencontres informelles a diminué notre capacité à interagir et à prendre du plaisir dans notre relation au travail. Le lieu de vie ou l’on prend soin qu’est le Vieux Colombier ne marche plus que sur une seule jambe. Les contraintes liées aux mesures sanitaires ont grippé la spirale vertueuse de la vie relationnelle. Par exemple, le temps de la toilette tend à se limiter à la toilette, les échanges sont réduits puisqu’il faut garder ses distances. Avant, quand un animateur se rendait compte en discutant avec un résident qu’il pouvait avoir des affinités avec un autre résident, il les faisait se rencontrer ; quand on apprenait que quelqu’un jouait au bridge on le rapprochait de ses partenaires potentiels. Mais les contraintes liées aux mesure sanitaires ont grippé la spirale vertueuse de la vie relationnelle. Les élans spontanés qu’il a fallu apprendre à contenir ont fini par ne plus émerger. On perçoit des phénomènes de repli individuel après l’élan de solidarité Covid apparu dans des moments extrêmes. Les contraintes sanitaires font perdre de l’intérêt au travail.

L’approche du « care » en plus des soins d’entretien de la vie, des soins de réparation, ceux qui relèvent du traitement et de la maladie (le « cure ») ne prend sens que s’il y a par ailleurs maintien de tout de ce qui contribue à la continuité et au développement de la VIE.

« la vie se retire à chaque fois que l’on se préoccupe d’avantage de ce qui meurt que de ce qui vit ».

Lorsqu’il y a prévalence du « cure » sur le « care », il y a anéantissement progressif de toutes les forces vives de la personne, de tout ce qui la fait ÊTRE, par épuisement des sources d’énergie vitale physique, affective, sociale… Alors que tout ce qui reste des capacités de vie demande et exige d’être mobilisé constamment, et jusqu’au seuil de la mort, afin que les énergies vitales l’emportent sur les obstacles à la vie, même au seuil de la mort.

Et si on parlait d’autre chose que du COVID ?

Les équipes ont besoin de redonner du sens au « care », de la joie de vivre, du sens à la prise en charge. Il est temps de remettre de « l’humain » au travail, que les équipes se préoccupent d’autre chose que du « tout Covid ». Aborder d’autres sujets, s’orienter vers d’autres projets, permet d’élargir l’horizon et de prendre une bouffée d’oxygène.

Mobiliser les équipes sur les projets d’établissement et la préparation du futur est aussi un enjeu managérial pour l’année qui vient.

A L’Ehpad du Vieux Colombier, le personnel s’est mobilisé autour de plusieurs initiatives pour se retrouver autrement :

·       un élan de solidarité : accueillant beaucoup de résidents sans familles et/ou sans moyen, appel aux dons pour recueillir des cadeaux pour tous, mais aussi un « secret santa » entre les salariés, tous services confondus (chacun fait un cadeau à un prix défini )

·       un élan de joie et de légèreté : concours de pull de noël et défilé entre résidents et salariés, danse chorégraphiée des équipes le 24 et le 31 Décembre sur Jérusaléma (Master KG).

Faire les activités collectivement ou pour les autres, tout en gardant les règles sanitaires en tête, retrouver le bonheur d’être ensemble malgré l’adversité, dans la simplicité, voilà ce qui leur a permis de relever la tête et rire à nouveau.

La solidarité née de la lutte contre le Covid peut ne pas se déliter. Elle peut se déployer pour permettre à chacun de se reconstituer, guérir le corps social d’un établissement qui a payé un lourd tribut. Elle est aussi le terreau de la coopération pour les transformations à venir.

Conclusion : Un futur qui veut revenir au « plus humain », avec ou sans COVID

Cette acclimatation passe par des renoncements, se consoler et se rassurer les uns les autres quand on le peut, et créer des moments de joie sans attendre. Prendre soin de soi et de la vie des équipes est central pour la qualité de vie et la qualité des soins.

Le « prendre soin » est une pratique éthique individuelle et collective qui se nourrit d’une vigilance proactive de tous et de chacun.

Demain, il sera primordial d’être ensemble et de raviver le contact et les liens pour revivre « normalement » professionnellement et personnellement, et s’engager avec confiance dans de nouveaux projets.

Hélène Verdier

Je remercie Christelle Rivoal et Sandrine Petit, directrices de leurs établissements, formidables leaders révélées dans la crise pour leur capacité à diriger dans la complexité.

https://www.espace-ethique.org/ressources/article/imaginer-un-monde-sans-maladie-un-reve-empoisonne
https://www.has-sante.fr/jcms/p_3183574/fr/souffrance-des-professionnels-du-
https://www.mazars.fr/Accueil/Insights/Le-Blog/Pas-de-transformation-de-l-hopital-sans-l-humain
https://www.grieps.fr/actualites-le-concept-de-care-les-soins-lies-aux-fonctions-de-la-vie-49